mercredi 24 octobre 2007

1917

Elle a grandi dans une ferme ou ses parents etaient ouvriers, dans un petit village de Saone et Loire. Elle etait la premiere fille, apres 6 garcons. Une autre fille est nee, 2 ans apres. Elles avaient un petit agneau apprivoise appellee Nenette que l'on voit a cote des 2 soeurs sur l'une des rares photos de l'epoque.
Elle a quittee l'ecole a 12 ans, comme tout le monde. Je suppose qu'elle travaillait a la ferme ensuite. Entre les animaux, les recoltes, les lessives au lavoir du village il y avait de quoi s'occuper.
Elle a rencontre son futur mari dans un bal. Il venait de la petite ville d'a cote. Un marechal ferrand, lui aussi issu d'une famille nombreuse mais dont le pere travaillait aux chemins de fers.
Ils se sont maries en 1943, annee morose. Elle avait un tailleur blanc creme tres bien taille et un petit chapeau sur la tete.
En 1944 leur premier enfant est ne. Le garcon est arrive 6 ans plus tard et enfin une seconde fille en 1953.

Juste apres la naissance du premier enfant, ils se sont installes dans un petit appartement dans la petite ville. L'atelier etait au bout de l'arriere cour, c'etait pratique. Les trois enfants etaient doues a l'ecole. La petite entreprise avait un peu de mal alors que les voitures remplacaient les chevaux petit a petit.

Le 31 decembre 1963, elle a vu mourir son mari dans la petite cuisine qui surplombait l'arriere cour. Ils ont le coeur fragile dans cette branche de la famille, ce fut foudroyant. La fille ainee dut abondonner ses reves de devenir chimiste et partir directement a l'ecole normale, pour toucher un salaire d'institutrice et subvenir aux besoins de la famille. La petite continua l'ecole. Le fils lui, dut quitter ses bancs pour devenir apprenti a l'usine locale. Termine Dostoyevsky, a lui les 40h a la chaine et les blagues grossieres de ses collegues.

Elle dut aussi trouver un travail, pour la premiere fois de sa vie. Elle devint aide a la cantine du college. Les enfants l'adoraient.

En mars 1989, en allant etendre son linge dans le grenier, elle a trouve son fils allonge dans une mare de sang. Il s'etait tire un coup de fusil dans la bouche. Il a survecu grace a de nombreuses operations et une longue psychotherapie et alors qu'il commencait a aller vraiment mieux, lui aussi est mort d'une crise cardiaque devant elle un matin de mars 1992, dans la petite cuisine en formica.

Elle a eleve sa deuxieme petite fille, celle de sa fille cadette mere celibataire un peu depressive, dans ce meme appartement sans confort, avec les toilettes sur le palier et le papier peint a fleurs. Le poele a charbon a ete remplace par des convecteurs electriques dans les annees 90 et une petite salle de bain a ete ajoutee a ce moment la aussi.

Aujourd'hui, on a resilie le bail. Les affaires sont triees, vendues, donnees. Les meubles de peu de valeur partent chez Emmaus. Toute une vie de souvenirs balayee.

Elle ne veut meme pas y retourner une derniere fois. Elle n'y a pas mis les pieds depuis sa chute du mois de mars. Elle se laisse porter un jour apres l'autre, se laisse reprimander comme une enfant de 4 ans par sa fille et son beau-fils et passe de plus en plus de temps au lit, dans cette maison qui n'est pas la sienne a quelques 80 km de chez elle. Pour la premiere fois elle veut commander des fleurs pour la tombe de son mari et de son fils plutot que d'y aller pour la Toussaint.

Ma grand-mere a 90 ans et plus rien devant elle. Je lui souhaite de partir le plus vite possible.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

dure, ton histoire... et oui, l'âge et la dépendance sont des sujets que l'on aborde trop souvent abstraitement, avec des mots, et sans penser à la trste réalité des familles... je pense bien à toi...de loin...

Anonyme a dit…

"Ma grand-mere a 90 ans et plus rien devant elle. Je lui souhaite de partir le plus vite possible."

Mais elle a vous, qui lui rendez l'hommage qu'elle mérite. Alors...

Lola a dit…

C'est terrible, terrible et émouvant, quelle vie... Mais tu es là, toi, et tu sais, tu portes témoignage. Ce n'est pas une vie en vain, une vie pour rien, puisque tu es là, toi, et tu sais tout cela. Je suis sûre, sûre, que pour elle ça compte énormément. Tout ce qui est parti, tu t'en souviens, toi, elle l'a confié à ta mémoire. Elle a déjà commencé à vivre dans la mémoire des autres, comme pour vous habituer à sa future absence.

Anonyme a dit…

Voilà deux jours que je voudrais faire des commentaires et je n'y arrive pas. Cette histoire est à la fois si joliment racontée et si poignante. C'est beau et triste en même temps. Cela me met le coeur en compote.